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Le château du Mesnil-Guillaume est situé à
sept kilomètres de Lisieux, au fond de la vallée d'Orbec, dont la rivière
l'entoure de ses eaux claires et vives. On peut passer fort près de cet
intéressant édifice sans qu'il ait attiré l'attention. A moitié caché et
enfoui dans la verdure, il ne décèle pas sa présence par des tours
imposantes ou des combles élevés. Mais si l'on se dirige vers le pont qui
donne accès dans son enceinte, on est bientôt charmé par son aspect
pittoresque et harmonieux. La construction présente quatre faces entourant
une cour intérieure. Un pavillon peu élevé, sans trace du pont-levis qui y a
existé autrefois, surmonte la porte d'entrée. Quatre tourelles flanquent les
angles; celles de la face méridionale sont des poivrières en cul-de-lampe.
Les murs sont couronnés d'une corniche vigoureusement accentuée par la
saillie des modillons; elle est coupée par l'extrémité supérieure des
fenêtres, qui en fait ainsi valoir la puissance et le relief. Le tout
présente un ensemble très satisfaisant, et conserve un caractère d'unité
remarquable. L'intérieur de la cour répond à l'apparence extérieure, sauf le
corps de logis formant le côté de l'ouest. Celui-ci appartient à une époque
plus ancienne; c'est une construction en bois, qui peut dater du règne de
Louis XII ou de celui de François 1er, tandis que le reste de l'édifice,
bâti en pierre et pour lequel la brique n'a été employée que dans une faible
proportion, est du temps de Henri III. Mais cette partie, élevée en bois de
charpente et colombage, offre un bon modèle de ce genre original et
pittoresque, et c'est à peine si l'on peut dire que l'ensemble du château en
soit déparé.
Le Mesnil-Guillaume est l'œuvre d'une famille qui a tenu une place
considérable, soit à Caen, soit à Lisieux, pendant toute la durée du XVIe
siècle, celle des Le Vallois. Un premier Nicolas Le Vallois, fixé à Lisieux
dans la seconde moitié du siècle précédent, y accumula une grande fortune
par le commerce. Il se rendit acquéreur de la seigneurie du Mesnil-Guillaume,
qui était depuis longtemps le patrimoine et la résidence d'une branche de la
famille de Trousseauville, distinguée dans la chevalerie normande. Nicolas
Le Vallois fit foi et hommage au roi pour ce fief en 1498; il fut aussi
seigneur et patron de Putôt, terre importante de la vallée d'Auge, dont il
rendit aveu en 1505. Il laissa trois fils; Jean, l'aîné, seigneur du
Mesnil-Guillaume, épousa Catherine de la Bigne, fille d'un riche bourgeois
de Caen, et fut père d'un second Nicolas Le Vallois, surtout connu comme
seigneur d'Ecoville. Celui-ci porta à son comble l'opulence de la famille.
Ses contemporains ne pouvant s'expliquer les richesses qu'ils voyaient
accumulées entre ses mains, les attribuèrent à ses connaissances dans l'art
mystérieux de l'alchimie. Ce fut lui qui fit construire à Caen ce
merveilleux hôtel de la Renaissance, encore désigné par son nom, et resté,
malgré toutes les dégradations qu'il a subies, un des plus précieux
ornements de cette ville. Nicolas Le Vallois mourut subitement à l'âge de
quarante-sept ans, le 6 janvier 1542, frappé d'apoplexie au moment où il
commençait son repas. Il avait été marié deux fois, ayant épousé en
premières noces, en 1523, Catherine Hennequin, et, en secondes noces, Marie
du Val en 1534. De celle-ci naquit le troisième de ses quatre fils, Jean Le
Vallois, son successeur dans la terre du Mesnil-Guillaume. Ce fut lui qui
fit construire le château existant aujourd'huiui. Il mourut sous le règne de
Henri IV, laissant de son mariage avec Louise de la Vallette, trois filles
entre lesquelles fut partagée sa succession, le 1er février 1606.
L'aînée, Marie Le Vallois, avait épousé Charles Le Gouez, seigneur du Port;
Marthe Le Vallois, la seconde, était mariée à Hilaire Le Viconte, seigneur
de Vitty, un des ancêtres des marquis de Blangy; la troisième, Madelaine Le
Vallois, épouse de Louis de la Haye, seigneur d'Harville, fils du seigneur
de la Pipardière, devait mourir peu après sans postérité. Ce fut à la dame
du Port qu'échurent la seigneurie et le château du Mesnil-Guillaume. Elle
eut trois fils: Louis Le Gouez, l'aîné, fut seigneur du Port et du
Mesnil-Guillaume; Charles, le second, eut le fief de Mainneville, situé à
Saint-Lambert-sur-Dives; Jean Le Gouez, le plus jeune, posséda les
seigneuries de Mondeville et d'Ifs; il épousa, en 1634, Claire Boutin, fille
du seigneur de Victôt. L'alliance du sieur du Port fut plus brillante
encore: il obtint la main de Mademoiselle de Raveton, née du mariage de
François de Raveton, seigneur de Chauvigny, chevalier de l'ordre du roi et
gentilhomme de sa chambre, et de Marie Bruslart de Genlis, veuve de
François, baron de Mailloc et de Cailly, dame d'honneur de la reine-mère.
Une situation qui semblait ne lui laisser rien à désirer, ne fut cependant
pour lui que l'occasion d'un crime odieux; les souvenirs les plus sinistres
sont restés inséparablement attachés à son nom. Le beau-frère de Louis Le
Gouez, Pierre de Raveton, seigneur de Chauvigny, était mort prématurément,
laissant une fille unique, Marie de Raveton, de son mariage avec Anne de
Pigace, héritière de la maison de Carentonne. Cette jeune veuve convola à de
secondes noces avec Jean de Mauduit, seigneur de la Rozière,
conseiller-maître en la Chambre des Comptes de Normandie, veuf lui-même de
Geneviève Halley, dont il avait plusieurs fils. La tutelle de la mineure fut
alors confiée au plus proche parent paternel, qui était le sieur du Port.
Cependant, quand la jeune fille, destinée à être un jour une riche
héritière, approcha de l'âge où l'on pourrait disposer de son sort,
l'inquiétude s'empara de plusieurs de ses parents.
Louis Le Gouez avait trois fils parvenus à l'âge d'homme; il passait pour
peu scrupuleux, et l'on crut qu'il ne négligerait rien pour assurer à sa
famille l'opulente succession qui se trouvait en quelque sorte entre ses
mains. Une délibération des parents confia d'abord la garde de la pupille à
une tante, Marie de Raveton, abbesse de Lisieux; puis on la remit à
l'abbesse de Saint-Amand de Rouen; enfin, en 1643, un jugement, rendu sur
nouvel avis du conseil de famille, destitua le sieur du Port de ses
fonctions de tuteur et les fit passer à M. de la Rozière. Peu de temps
après, l'héritière des Raveton épousait un fils du premier lit de celui-ci,
Jacques Mauduit, seigneur du Renouard-sur-Coquainvilliers. Frustré dans ses
plus chères espérances, humilié d'une si amère déception, menacé d'un
règlement de compte de tutelle, où il avait, disait-on, plus de 30000 livres
à rapporter, le seigneur du Mesnil-Guillaume livra son cœur à la rage.
Accompagné de ses deux plus jeunes fils, il pénétra à main armée chez le
sieur de la Rozière et l'immola à sa fureur, ainsi que Jacques de Mauduit,
son fils. La jeune épouse elle-même, Marie de Raveton, ne fut pas épargnée;
elle reçut des blessures mortelles, auxquelles elle ne tarda pas à
succomber. Ce triple assassinat, accompli avec la plus atroce barbarie, se
termina par une scène de pillage; la maison des victimes fut saccagée, les
meurtriers enlevèrent des meubles dont l'estimation fut portée à 12000
livres. Mais le châtiment ne se fit pas longtemps attendre; tombés aux mains
de la justice, les Le Gouez, père et fils, expièrent leur abominable forfait
par la mort la plus ignominieuse. Le fils aîné du sieur du Port restait seul
survivant; lieutenant d'une compagnie de chevau-légeis au régiment de la
Meilleraye, François Le Gouez était aux armées pendant que s'accomplissait
cette affreuse tragédie, et ne pouvait en être rendu responsable. La
confiscation lui fut épargnée, mais il n'en était pas moins ruiné par les
restitutions et dommages qui tombaient à sa charge.
La terre du Mesnil-Guillaume fut expropriée par décret et adjugée à Louis,
marquis de Rabodanges, en 1646. François Le Gouez n'eut d'autre ressource
que de réclamer l'héritage de la cousine que les siens avaient si
cruellement égorgée. Anne de Pigace y avait renoncé au nom de son fils
mineur du second lit, Alexandre de Mauduit de Carentonne; mais des
collatéraux plus éloignés le revendiquèrent comme à eux dévolu par
l'indignité des plus proches héritiers. Après un long procès, le Parlement
de Paris prononça, par arrêt du 18 janvier 1652, que François Le Gouez,
n'ayant pas participé au crime, n'avait pas encouru l'indignité, bien qu'il
représentât ceux qui l'avaient commis. Accablé par de si douloureux
souvenirs, ce nouveau seigneur de Chauvigny quitta l'épée pour embrasser
l'état ecclésiastique et devint curé de Crulay, dans les environs de Laigle.
La terre du Mesnil-Guillaume ne resta pas longtemps dans la maison de
Rabodanges. Elle fut vendue à Yves de Mailloc, sieur de Toutteville, le
second des quatre fils de Philippe de Mailloc, seigneur des Éteux. Il mourut
en 1694, à l'âge de cinquante-sept ans, et François de Mailloc-Toutteville,
son fils, l'aliéna, en 1720, au profit de Joseph Durey de Sauroy, alors
seigneur de Noinville et plus tard de Damville. Celui-ci mourut en 1752, et
le Mesnil-Guillaume fut de nouveau vendu par son fils, Joseph Durey, marquis
du Terrail, maréchal de camp. Le nouvel acquéreur était M. Lemercier, ancien
commandant de l'artillerie au Canada; cet officier estimé fut le dernier
seigneur de cette terre. Depuis la Révolution, elle a passé à la famille de
Margeot, et a été rarement habitée par les propriétaires. Divers locataires
en ont été, pendant de nombreuses années, les seuls occupants; parmi eux
l'on peut citer la duchesse de Valmy, qui a passé plusieurs étés dans cette
charmante habitation. A la fin du XIXe siècle, elle appartenait à Madame la
comtesse Le Bel de Penguilly, née de Margeot. (1)
Éléments protégés MH : le château en totalité : inscription par arrêté du 19
janvier 1927. (2)
château du Mesnil-Guillaume 14100 Le Mesnil-Guillaume, propriété privée,
ne se visite pas.
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