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Flers humble bourgade jadis, et, de nos jours, ville
industrielle sans cesse accrue depuis 1830, n'aurait qu'un passé
insignifiant sans le château que nous voyons et celui qui l'a précédé. C'est
donc là qu'il faut évoquer nos plus anciens souvenirs. Du portail de
l'église Saint-Germain, centre de l'ancien bourg, au delà du cimetière
limité par de modestes jardins, on apercevait encore, au commencement du
XIXe siècle, des près verdoyants formant un étroit vallon, et au delà les
masses sombres d'un parc de trente hectares, aujourd'hui bien amoindri. Le
ruisseau l'entourait comme d'une ceinture, au sud et à l'est. Vers l'ouest,
un étang formé par les eaux de la Vérette complète l'ensemble décoratif du
parc et le borne de ce côté, tandis que se dresse au nord le château, digne
par son architecture de ce somptueux entourage. Deux époques bien distinctes
ont laissé leur empreinte sur cet édifice, d'un aspect entièrement
différent, suivant que l'on envisage l'une ou l'autre de ses façades. La
plus ancienne regarde Flers. Sans les avenues qui la masquent, elle
détacherait, dans le panorama de la ville, la silhouette de ses deux tours
aux toits renflés et couronnés d'élégants campaniles. Malgré les
transformations qu'elle a subies, cette portion conserve dans son ensemble
les caractères du XVIe siècle; la fenêtre du milieu avec son linteau en
accolade et les petites ouvertures des tours, bordées d'un chanfrein, ont
seules échappé aux remaniements opérés durant le XVIIe siècle. Certains
manuscrits de La Clef majeure de sapience, œuvre de Nicolas Grosparmy,
viennent du reste corroborer nos appréciations.
Ils nous apprennent que la "maison de Flers" (c'est-à-dire le château) fut
fondée par Nicolas Grosparmy, l'alchimiste, mort sans héritiers mâles et
dont les deux filles épousèrent: Anne, l'aînée, le sieur de Moussy en
Lorraine, et Jeanne, la cadette, le comte de Fleurs et de Dragé (Flers et
Tracy) en Normandie. Or, ce même Nicolas rendit aveu au roi pour le fief de
Flers, le 30 avril 1527, et mourut au mois de mai 1541. C'est donc entre ces
deux dates qu'il faut placer les premiers travaux entrepris pour la
construction du château qui existe aujourd'hui. Tout concorde d'ailleurs
avec ces données historiques: les détails d'architecture cités déjà et ceux
qui vont suivre. Une longue rangée de corbeaux en pierre soutient la
toiture. Très haute, elle est bordée aux pignons de rampants hérissés de
choux frisés et autres sculptures fantastiques, suivant le goût de l'époque.
Les appuis des fenêtres, avec leurs moulures profondes, sont aussi
caractéristiques. Cette partie forme un tout bien distinct du reste de
l'édifice. Elle doit être attribuée à l'alchimiste, comme nous l'avons dit,
puis aux premiers Pellevé, Jean et Henri, peut-être même à Nicolas de
Pellevé, le gendre du prince de Rohan et l'opulent possesseur à la fois de
la baronnie de Flers et de la châtellenie de Condé. Un petit pont de pierre
très ancien, à trois arches à plein cintre, aves piles garnies d'épis en
amont du cours d'eau, se voit encore sur la rivière de la Selle, juste au
point central de cette façade. Est-ce l'indication de l'entrée du château à
cette époque ? Un pont-levis jeté sur la douve aurait alors livré passage à
l'intérieur. Toujours est-il que l'accès direct n'existe plus de ce côté. Il
a été reporté plus loin vers le milieu de la cour d'honneur, où l'on pénètre
maintenant par une grille flanquée de deux petits pavillons. Là, nous le
savons de source certaine, existait un pont-levis, aujourd'hui remplacé par
un pont fixe.
Devant cette façade du XVIe siècle, un parterre garni de fleurs occupait le
préau actuel, désigné sous le nom de "Bosquet" par le plan cadastral. Ce
préau était ceint d'une douve alimentée par le ruisseau de la Selle. Du côté
opposé, un second pont, placé en ligne du premier, donnait accès dans le
"Grand Jardin", dessiné à la française et entouré, au XVIIe siècle, d'une
rangée de cèdres formant berceau. Antoine de Pellevé ayant été dessaisi et
ses biens mis sous séquestre, un procès verbal de 1695 constate que la
plupart de ces beaux arbres avaient disparu par la négligence et les
dilapidations des gardiens. C'est là une particularité qui mérite d'être
signalée, car, importé pour la première fois de l'Orient en Angleterre en
1683 seulement, le cèdre devait être, en 1695, un arbre très rare en France.
Aussi, le château de Flers était-il célèbre autrefois pour ses allées de
cèdres, comme le constate Béziers dans ses Mémoires sur le diocèse de
Bayeux. Le "jardin" s'étendait en amphithéâtre, à l'exposition du couchant,
avec ses carrés symétriques, un bassin au centre, alimenté par une source
située dans le coteau de Rainette et, vers la gauche, une orangerie qui
existe encore. Un verger, le "fruitier" faisait suite au jardin. Deux larges
avenues de hêtres encadraient le jardin et le fruitier. L'autre façade est
exposée au midi; elle décrit, au fond de la cour d'honneur, des lignes d'une
régularité classique, rappelant l'époque de Louis XIV. En descendant le
perron, on voit à sa droite le miroir de l'étang assombri par les grands
arbres qui l'entourent, à gauche, le logis de Nicolas Pellevé, diminué dans
sa longueur par toute l'épaisseur de la nouvelle construction, et n'ayant
plus de ce côté que l'apparence d'une aile dans l'ensemble de l'édifice. A
l'extrémité opposée de la cour d'honneur, en face d'une longue allée, à
travers les volutes de fer d'une ancienne grille, on aperçoit les pelouses
du parc et, comme dernier plan, la lointaine perspective des maisons de la
ville. Le point de vue des façades était donc varié comme elles; la plus
ancienne avait son jardin à la française, et l'autre les profondes et
ombreuses allées du parc.
Vers 1850, on a trouvé enfouis au pied des murs de la partie ancienne du
château, à l'entrée des caves, les fragments assez complets et bien
conservés, d'une fenêtre en lucarne, ornée de pinacles, chapiteaux et autres
motifs dans le goût de la plus riche Renaissance. Nul doute que ces débris
n'aient appartenu au logis de Nicolas de Pellevé. Leurs saillies
pittoresques en dominaient et agrémentaient les façades. Dans la première
moitié du XVIIe siècle, Louis et Pierre de Pellevé voulurent raccorder, sans
qu'elles fussent trop disparates, la construction primitive avec la
nouvelle. Ils remplacèrent ces fenêtres surgissant de la toiture par les
frontons actuels, qui laissent aux regards l'impression d'une plus
harmonieuse unité. La forteresse du XIIe siècle, si elle existait au même
endroit, était probablement édifiée sur une motte; mais la décoration aux
alentours devait être nulle. Le parc, l'étang, les douves sont des créations
de Louis et de Pierre de Pellevé; peut-être même Nicolas, leur père, en
a-t-il commencé l'exécution. Toujours est-il que le rachat des terres
inféodées, les travaux de plantation du parc, ceux de construction, la
création des douves et de l'étang occasionnèrent d'énormes dépenses qui
contribuèrent pour une forte part à la ruine de la maison de Pellevé et à la
mise sous séquestre, pendant près d'un tiers de siècle, de son magnifique
apanage. La vente de la châtellenie de Condé, avec ses trente-deux fiefs, ne
suffit pas à combler le déficit. Suivant une tradition locale, le "Parterre
ou Bosquet", dont nous avons parlé plus haut, était l'emplacement du
précédent château. Nous regardons comme peu probable que les seigneurs de
Flers aient choisi la partie basse du vallon pour y établir leur demeure. Là
était peut-être la basse-cour, mais non l'habitation fortifiée elle-même,
construite soit à l'endroit affecté plus tard au jardin, soit au lieu occupé
par le château actuel.
A l'intérieur du château, le salon proprement dit, est la pièce la plus
curieuse et renfermant le plus de souvenirs. Deux grands panneaux d'ancienne
tapisserie d'Arras, d'un travail très fin, en forment la tenture. Ils
représentent des sujets mythologiques, encadrés de bordures délicatement
nuancées. Les meubles rares, les portraits des Pelèvé, plusieurs belles
toiles de M. Victor Schnetz, y constituent un ensemble fait pour les
délicats. Puisque nous recherchons particulièrement ce qui se rattache au
passé de Flers indiquons parmi les portraits, celui du cardinal de Pellevé,
dans le trumeau de la cheminée et le grand portrait de Jourdaine de Pellevé,
entre les deux fenêtres, enfin celui de la comtesse de la Brisolière,
revêtue d'un étrange costume de chasse et coiffée d'un tricorne. Au-dessus
de la porte donnant sur le vestibule, une autre peinture lui faisant face
représente également un dame de la famille de Flers, mais son nom est
ignoré. Deux portraits de femmes, de même provenance et malheureusement
inconnus aussi, se voient encore dans la chambre qui se trouve au-dessus du
salon. Un grand portrait de Marie de Médicis, un autre de Gaston d'Orléans,
d'un pinceau très expressif, puis une toile donnant la représentation en
pied de Louis XIV et de la grande Mademoiselle, ornent cette pièce du plus
intéressant décor. Ces portraits doivent provenir de l'héritage des
Gaureault, dont les titres de famille sont également conservés dans le
chartrier de Flers. Louis XIV avait eu pour sous-gouverneur Hyacinthe de
Gaureault, sieur du Mont et gouverneur de Meudon, qui jouissait à la Cour
d'un véritable crédit.
Louis III de Pellevé, son gendre et Hyacinthe-Louis de Pellevé, son
petit-fils, eurent après lui ce gouvernement de Meudon, témoignage de la
persistance de la faveur royale pour les héritiers des Gaureault. A la suite
du salon lambrissée d'une boiserie de l'époque Louis XIV renferme également
un remarquable portrait de jeune fille. Son riche costume de cour indique le
temps de Charles IX ou de Henri III. Serait-ce le portrait d'Isabeau de
Rohan, femme de Nicolas de Pellevé? En revenant par le vestibule, après
avoir traversé la salle à manger, on pénètre dans la partie ancienne du
château, qui est occupée par trois salons en enfilade. Ils sont surtout
remplis de dessins de M. Victor Schnetz et de toiles du même peintre,
quelques-unes ébauchées et les autres entièrement terminées. La bibliothèque
renferme aussi deux précieux albums contenant de curieuses études du
directeur de l'Ecole de Rome, ainsi qu'un portefeuille bourré de croquis et
d'esquisses dont plusieurs sont des souvenirs piquants du Flers de 1830. Le
visiteur, attiré au château par la curiosité, pourrait sans doute ajouter
beaucoup à ces remarques. Il est du reste assuré d'y rencontrer toujours
l'aimable accueil qui, dans cette noble demeure, est une tradition du passé.
(1)
Éléments protégés MH : le château de Flers en totalité : classement par
arrêté du 24 avril 1907.
château de Flers, avenue du Château, 61100 Flers, tél 02 33 64 66 00,
visite des extérieurs toute l'année, de 7h à 21h l'été, de 7h à 19h l'hiver.
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