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La terre de La
Motte n'avait pas à l'origine l'importance considérable qu'elle acquit dans
la seconde moitié du XVIIe siècle. Elle appartint tout d'abord à une famille
Le Lièvre, dont l'unique héritière, Suzanne Le Lièvre épousa, en 1558,
Balthazar de Villers. Louise de Villers, issue de ce mariage, l'apporta en
dot à Jean de Bauquetot, et leur fille, Suzanne de Bauquetot, qui contracta
mariage avec Gabriel de Montgommery, en devint propriétaire. Le décès de
Suzanne de Bauquetot eut lieu en 1647. La terre de La Motte devait bientôt
passer dans d'autres mains. Le 14 avril 1654, en effet, elle fut vendue à
demoiselle Cochin, veuve de feu messire Nicolas Ango, sieur de la Chaise,
secrétaire du Roi, maison et couronne de France, pour le prix de 83000
livres. Cette acquisition inaugura l'arrivée dans notre pays d'une famille
qui devait bientôt réunir dans ses mains les seigneuries les plus
importantes. Le fils de Catherine Cochin et de Nicolas Ango se nommait
Jean-Baptiste. Il épousa demoiselle Lefebvre de Lezeau. C'est après ce
mariage que fut érigée en marquisat la terre de La Motte, pour Jean-Baptiste
Ango, ses enfants nés et à naître en légitime mariage, avec les rang,
honneurs et prérogatives attachés à ce titre. Les lettres patentes données à
Marly au mois de juillet 1693, furent enregistrées à la Cour des Comptes de
Rouen, le 25 août 1696, et au Parlement, le 20 septembre de la même année.
Le marquisat est désigné sous le nom de marquisat de La Motte-Lezeau. Le
marquis suivit la carrière des armes et eut avec Voltaire une discussion à
propos des arrérages d'une rente viagère qu'il lui devait. Il est question
de cette contestation dans quelques lettres adressées par le célèbre
écrivain à son correspondant habituel, M. de Cideville, conseiller au
Parlement de Normandie, au cours de l'année 1758 et du mois de janvier 1759.
En fait de chicane, Voltaire, écrit M. de la Ferrière, en aurait remontré au
plus habile procureur de son temps. Jamais avarice n'eut à sa disposition un
esprit plus fécond en expédients, une plus déplorable adresse pour dénaturer
les faits, une ironie plus naturellement insolente. Son procédé, il nous l'a
fait connaître: il faut se remuer, se trémousser, agir, parler, s'emporter.
Dans une question aussi simple que celle qui existait entre lui et le
marquis de La Motte-Lezeau, toute cette agitation était assez inutile, et la
demande de Voltaire n'eût rien perdu à être présentée avec plus de
modération et sans être agrémentée des injures grossières qui
l'accompagnent. Voici, à titre de curiosité, quelques passages de cette
correspondance : "Aux Délices, le 4 octobre 1764. Que les Russes soient
battus, mon cher et ancien ami, que Louisbourg soit pris, qu'Helvétius ait
demandé pardon de son livre, qu'on débite à Paris de fausses nouvelles et de
mauvais vers, que le Parlement de Paris ait fait pendre un huissier pour
avoir dit des sottises, ce n'est pas ce dont je m'inquiète, mais M. Ango et
quatre années qu'il me doit sont le grave sujet de ma lettre. Peut-être M.
Ango me croit-il mort; peut-être l'est-il lui-même ? S'il est en vie où
est-il ?S'il est mort, où sont ses héritiers ? Dans l'un ou l'autre cas à
qui dois-je m'adresser pour vivre ? Pardonnez, mon ancien ami, à tant de
questions; je me trouve un peu embarrassé, j'ai essuyé coup sur coup plus
d'une banqueroute. Notre ami Horace dit tranquillement: Det vitam, det opes,
animum œquum mi ipsi parabo. Vraiment je le crois bien ! Voilà un grand
effort ! Il n'avait pas affaire à la famille de Samuel Bernard et à M. Ango
de La Motte. Ce petit babouin crut faire un bon marché avec moi parce que
j'étais fluet et maigre; vivimus talnen et peut-être Ango occidit dans son
marquisat. Qu'il soit mort ou vivant, il me semble que j'ai besoin d'un
honnête procureur normand. En connaissez-vous quelqu'un dont je puisse
employer la prose ? "
Le 28 du même mois. "Mon cher ancien ami, j'ai peur que vous n'ayez pas reçu
mon billet adressé dans la rue Saint-Pierre à Paris. Il s'agissait de savoir
si votre marquis de La Motte-Lezeau est mort ou en vie, s'il a un domicile à
Rouen, s'il faut écrire au château de Lezeau, où est ce beau château, en un
mot comment il faut faire pour me faire payer d'une dette de quatre années
d'arrérages de laquelle on ne me donne aucune nouvelle ?" Le 10 novembre.
"Mon affaire avec le marquis Ango est fort plaisante, mais vous l'avez
rendue si plaisante par votre aimable lettre que je ne peux plus m'affliger.
Le constat de cadavere me fait encore pouffer de rire. Je crois ce puant
marquis bien en colère que je vive encore et que j'aie doute de son
existence. Je le ferai citer en droit de pardieu, fût-ce dans Argentan en
Basse-Normandie". Voltaire n'eut pas besoin d'en venir à cette extrémité; le
12 janvier 1759, il apprenait à Cideville qu'il avait touché son dû; mais le
terrible homme n'était pas encore satisfait, le marquis ayant jugé à propos
de le faire payer par un procureur sans entrer en relations directes avec
lui. "Votre odoriférant marquis, écrit-il, a fait un effort qui a dû lui
coûter des convulsions: il m'a payé mille écus par les mains de son receveur
des finances. Il faudra que je présente quelquefois des requêtes à son grand
consul. Si le marquis savait que j'ai acheté un beau comté il redouterait ma
puissance et traiterait avec moi de couronne à couronne". Le marquis de La
Motte-Lezeau, deuxième du nom, père du débiteur de Voltaire, joignit au
marquisat la baronnie d'Écouché. Son frère puîné, sieur de Villebadin et de
Beaumont, devint seigneur de Flers par son mariage avec Antoinette de
Pellevé. Cette seigneurie importante fut élevée plus tard en comté au profit
de ses enfants.
Les membres de la famille de La Motte-Lezeau figurent au nombre des
bienfaiteurs insignes de Saint-Germain d'Argentan. Après Jean-Baptiste Ango,
troisième du nom, La Motte-Ango passa entre les mains du marquis d'Étampes
en vertu d'un contrat du 15 avril 1791. Le nouveau propriétaire traversa la
Révolution sans être inquiété et sans voir ses biens confisqués. Il habitait
encore le château en 1818. Après lui, ce grand domaine fut dépecé: un lot
important avec un beau pavillon, seule parti du château qui subsiste
aujourd'hui, devint plus tard la propriété de M. David Deschamps, conseiller
général, membre du Corps législatif. M. David Deschamps y continua les
traditions de large hospitalité et de bienfaisance d'autrefois. La
Motte-Lezeau est au début du XXe siècle la propriété de sa fille, Madame
Marigues de Champ-Repus. Les Champ-Repus appartiennent à la noblesse la plus
ancienne. Ils tirent leur nom d'une commune de l'arrondissement d'Avranches,
dont l'étymologie a donné beaucoup de tablature aux philologues.
Quelques-uns ont déclaré que Champ-Repus se disait en latin campus repulsus
et ils en conclurent que cette localité avait été le théâtre d'une lutte
militaire dont l'histoire n'aura pas conservé le souvenir. En 1503, un
gentilhomme de ce nom, Jacques de Champ-Repus, publia chez Reinart, à Rouen,
une tragédie intitulée: Ulysse. Cette tragédie est suivie de poésies
diverses, dont plusieurs adressée à la reine Marguerite de Navarre. Ces
poésies rarissimes ont été éditées il y a quelques années par M. Marigues de
Champ-Repus. (1)
château de la Motte Lezeau 61150 Joué-du-Plain, propriété privée, ne se
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