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Entre la Normandie et la Bretagne,
s'étend une région peu peuplée, mais très pittoresque, coupée de profondes
vallées, en partie couvertes de bois et de landes. Située sur les frontières
de deux provinces longtemps ennemies, elle fut sans doute le théâtre de
nombreux combats. Quelques débris de retranchements en rappellent encore le
souvenir, près de Saint-James: à la Haye de Terre, au Jaloux, à Savigny, à
Buais. Les noms des six communes que comprend cette région sont aussi très
significatifs: Louvigné et Bazouge-du-Désert, en Ille-et-Vilaine;
Saint-Martin et Saint-Brice-de-Landelles, Saint-Aubin et Saint-
Laurent-de-Terregatte, dans la Manche. Ces quatre dernières paroisses ne
formèrent d'abord qu'un seul fief, apanage d'un cadet de la maison de
Subligny. Un mariage en fit passer une partie dans les domaines des barons
des Biards (1184). Plus tard les châteaux féodaux disparurent; les
demi-fiefs, les huitièmes de fief se constituèrent. En 1272, il y avait à
Saint-Aubin et Saint-Laurent douze seigneurs tenant fiefs; on les appelait
les douze pairs de la Terregatte. Aux XVe et XVIe siècles, les possesseurs
de tenure ou de franc fief pouvaient bâtir un "logis" et le fortifier. C'est
à cette époque que remonte la construction du modeste manoir. La famille
Artur qui construisit Dougeru et l'habita longtemps était, depuis le XIVe
siècle au moins, fixée dans la Terregatte. En 1386, Guillaume Artur était
seigneur de l'Arturaye, près de l'église Saint-Aubin. Nous le retrouvons,
vingt ans plus tard, sous les ordres du baron des Biads, au nombre des
défenseurs du Mont Saint-Michel. Assez peu fortuné probablement, il
exerçait, entre deux assauts, les métiers d'avocat du roy et de tabellion
juré. Il eut le bonheur de voir la fin du siège et put faire peindre ses
armes dans l'église abbatiale: de gueules à la coquille d'or au chef de
même.
Ce fut son petit-fils, l'abbé Laurent Artur, qui fit construire Dougeru, en
1578. Son frère, Margerin, était, comme son aïeul, resté fidèle à la cause
royale; il prit part, sous les ordres du duc de Montpensier, aux sièges de
La Chaise, près Saint-Hilaire-du-Harcouët, et d'Avranches, et fut dans cette
dernière affaire gravement blessé. Après lui une partie de sa famille quitta
Dougeru pour aller habiter Pontorson, puis la Bretagne. A cette branche
appartenait Charles Artur du Plessis qui composa un estimable abrégé
d'Hippocrate. Dans une longue préface, il nous montre, avec une intéressante
naïveté, l'existence des médecins de campagne d'alors, leur vie besogneuse,
les dangers de la profession, tels que la fièvre quarte qu'il contracta en
soignant les malades, dans les régions marécageuses; comme ses aïeux, il
trouva l'occasion de prouver sa fidélité au roi en s'opposant, de concert
avec son gendre Nicolas de Saint-Genys, aux désordres que les Nuds Pieds
voulaient commettre dans la ville, ce qui valut à sa famille de nouvelles
lettres d'anoblissement. Le siècle suivant, plus paisible à l'intérieur, ne
permit pas à cette famille de donner au pays des exemples semblables de son
dévouement, mais l'un de ses membres se signala par sa charité: l'abbé
Gabriel Artur fut le fondateur de la bibliothèque publique d'Avranches et
des écoles populaires dirigées par les frères institués par le bienheureux
de la Salle. A l'époque à laquelle nous sommes parvenus, la famille Artur ne
possédait plus Dougeru; des mariages successifs l'avaient fait passer dans
les familles Gambier de Savigny, du Bosc, du Buat, d'Estanger et Gardain du
Bois du Lier.
Longtemps habité par les propriétaires et bien entretenu, Dougeru fut
transformé en ferme au début du XXe siècle. De nouvelles fenêtres ont été
ouvertes, d'autres ont été murées; malgré ces mutilations, l'ancien manoir
présente encore un certain intérêt, dans un pays où les châteaux anciens
sont fort rares. "Le logis de Dougeru, écrit M. l'abbé Pigeon, rappelle les
châteaux de l'époque de Henri III. Ses douves, ses pavillons, ses toits en
poivrière, sa chapelle et son colombier existent encore sur la rive gauche
de la Sélune et produisent un bon effet au milieu de la verdure et des
eaux". C'est une construction très simple, à un seul étage, flanquée d'un
côté d'une tourelle ronde, de l'autre de deux pavillons carrés d'inégale
hauteur. La part réservée à l'ornementation est peu considérable; à peine
peut-on signaler quelques cordons de granit, quelques moulures autour des
fenêtres et de la porte principale. Auprès du manoir se voit la chapelle, ce
complément obligé des plus modestes gentilhommières. Dougeru est, on le
voit, un édifice en lui-même peu remarquable. Il présente cependant un
certain charme. Entouré de fraîches prairies, d'avenues, d'un vieux plant de
pommiers, le manoir rappelle vivement le souvenir de ceux qui l'habitèrent,
de ces races obscures de gentilshommes campagnards, appauvries au service de
la patrie, qui revenaient, les guerres finies, mener une vie paisible au
milieu de leurs vassaux. (1)
Éléments protégés MH : le manoir de Dougeru et son colombier: inscription
par arrêté du 29 mars 1991. (2)
manoir de Dougeru 50240 Saint-Aubin-de-Terregatte, propriété privée, ne
se visite pas.
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